L’Entre-Deux

Et si je te parlais de cet « entre-deux »…

Tu sais, ce moment où tu n’es plus vraiment l’ancien toi, mais pas encore le nouveau.
Où tu sens une force immense monter en toi, un feu calme, une pression sourde, presque minérale, qui s’installe quand l’énergie précède de beaucoup la forme capable de la contenir.
Comme une grossesse invisible : tu portes quelque chose qui n’a pas encore de nom, pas encore de visage, et qui pourtant pèse déjà de tout son poids d’avenir.

Tu as des idées claires, des visions précises, une envie brûlante de créer, de dire, de faire. Pourtant, dès que tu poses la main sur le clavier, la guitare, la toile, le projet… ça coince.
Ce n’est pas un manque d’inspiration.
C’est que la forme n’existe pas encore dans ton répertoire connu. Elle est en train de s’inventer au même rythme que l’énergie la réclame.

Alors tu te sens à la fois trop plein et désespérément vide. Plein d’un futur qui appuie contre tes côtes.
Vide de tout contenant assez grand pour le recevoir.

L’ego, habitué à conduire, se retrouve simple sage-femme d’un accouchement dont il ignore la date et la silhouette de l’enfant. Il souffre, il panique, il veut forcer, embellir, comprendre. Mais l’énergie qui arrive n’a rien à voir avec la créativité psychologique. Elle n’a pas besoin de ton talent. Elle a besoin de ton vide.

Ce que beaucoup prennent pour une crise, une dépression, un blocage, n’est qu’un élargissement intérieur.
L’ancienne peau craque, démange, brûle.
Le corps émotionnel, le corps mental, parfois même le corps physique grandissent de l’intérieur, à vif.
C’est terrible.
C’est magnifique.

Le piège : croire qu’il faut faire plus (plus de discipline, plus de techniques, plus de projets).
La vérité : il faut faire moins.
Retirer. Désencombrer. Laisser mourir ce qui veut mourir, même si ça fait mal.
L’énergie véritable ne négocie pas avec nos plans de secours. Arrêtons de chercher la forme. La forme viendra quand le canal sera assez large et assez neutre pour ne plus déformer ce qui passe.

Alors on apprend la seule posture juste : tenir la tension sans chercher à la résoudre trop vite. Devenir le creuset où l’ancien soi se liquéfie pour que le nouveau puisse se solidifier. Rester debout dans le courant d’air, les bras ouverts, sans attendre, sans romancer la douleur.
La souffrance n’est pas sacrée. Elle est juste le bruit du vieux système qui craque pendant qu’on le démonte.
Quand on aura fini de l’écouter avec attendrissement, on pourra enfin l’éteindre .

Un jour, sans prévenir, la forme se pose. Pas parfaite. Juste assez vraie. Une phrase tombe juste. Un geste devient exact. Une création sort qui ne te ressemble plus… et qui te ressemble enfin.

Tu comprends alors que tout ce feu n’était pas là pour te consumer, mais pour te forger. Et tu n’es pas en train de devenir plus conscient. Tu es en train de cesser d’être inconscient. C’est très différent. Et beaucoup moins poétique.

L’entre-deux n’est pas une punition. C’est la salle d’attente de toi-même. Et quand la porte s’ouvre, tu réalises que tout ce silence, toute cette pression, toute cette attente…c’était déjà le nouveau toi qui arrivait.

Si tu le vis en ce moment même : respire.

Tu n’es pas cassé.
Tu es en train de naître.
Et ça ne fait pas de bruit,
mais ça fait toute la différence.

Âllias💫
L’Entre-Deux
Sur le Vif